Nous discutons dans cet article le problème de l’équivalence entre un verbe distributionnel et une construction à verbe support, telle qu’elle ressort aux études portant sur le verbe support faire. Dans un premier temps, nous montrons que les études ne proposent pas une description systématique de ce phénomène, mais elles dégagent seulement certaines tendances. Nous pensons d’ailleurs qu’une telle problématique ne peut pas être cernée au seul niveau phrastique, c’est pourquoi, dans un deuxième temps, nous proposons de prendre en discussion le niveau discursif également.
Nous avons choisi faire en raison de sa nature de verbe support par excellence. En tant que verbe support, ce verbe subit un affaiblissement sémantique tellement élevé, qu’il devient un simple instrument grammatical, d’où ses possibilités combinatoires extrêmement diversifiées.
Dans la classe des verbes supports, qui compte plusieurs centaines d’unités, le verbe faire, à côté de quelques autres verbes (avoir(, (donner(, (être(), forment l’ensemble des verbes supports de base (M. Riegel et alii. Grammaire méthodique du français, 1994 : 233), c’est-à-dire les verbes qui acceptent la combinatoire syntaxique la plus diversifiée et pour lesquels l’affaiblissement sémantique est le plus élevé.
Tout comme les verbes auxiliaires, ces verbes sont décrits comme subissant un procès de « sublimation sémantique », d’«amenuisement sémantique» (D. Willems, Analyse des critères d’auxiliarité en français moderne, 1969 : 88) :
… les verbes avoir et faire ont perdu de leur sens lexical pour s’associer à un substantif, détenteur de la partie sémantique de l’ensemble. (D. Willems, 1969 : 89).
De là l’expression verbe support (Vsup), qui souligne le fait que ces verbes sont vides ou vidés de leur sens lexical d’origine (c’est le sens lexical qui opère la sélection des arguments), et n’ont pour rôle que d’actualiser, dans une phrase simple, un terme prédicatif n’appartenant pas à la catégorie du verbe. (R. Vivès, La prédication nominale et l’analyse par verbes supports, 1993 : 10)
Les Vsup = : avoir + être + faire sont des verbes ayant par ailleurs des fonctions d’auxiliaires, cette observation conforte l’idée que les Vsup sont des mots grammaticaux non porteurs de sens. (M. Gross, La fonction sémantique des verbes supports, 1998 : 27)
D’autres auteurs préfèrent adopter une position plus nuancée :
En fait, un Vsup n’est pas aussi vide sémantiquement qu’on le croit. (…) Nous allons voir plus loin, à travers les différentes valeurs (temporelles, aspectuelles, modales et autres) impliquées par les Vsup. que ceux-ci sont effectivement « relativement » vides à partir du moment où ils apportent un « plus » quelconque à la séquence. (B. Ouerhani, Les critères de définition des verbes supports entre le français et l’arabe, 2006 : 57)
et même soutenir le point de vue opposé : « … un Vsup. n’est pas complètement dépourvu de sens. » (B. Ouerhani, 2006 : 59)
En fait, la perte sémantique ne se manifeste pas pour tous les membres de la classe, mais seulement pour les verbes de base (dont faire). Le rôle des « variantes » (M. Gross, 1998 : 28) consiste justement à apporter des précisions sémantiques de plus par rapport aux verbes de base : « Les variantes d’un Vsup. prennent en charge donc différentes informations que le N. préd. n’exprime pas. » (B. Ouerhani, 2006 : 60)
Dans cette perspective, les verbes supports ont une « fonction sémantique » régulière et descriptible, examinée de façon systématique par M. Gross (1998). Cet auteur établit plusieurs classes de verbes supports, selon le domaine dans lequel se manifeste leur contribution sémantique : aspect, causalité, intensité, conjonction, modalité spécialisée.
Les phénomènes sont d’autant plus subtils que la distinction entre verbe de base et variante peut s’appliquer même pour les emplois d’un seul verbe. R. Vivès discute le cas du verbe prendre, qui peut jouer aussi bien le rôle d’un verbe support ou d’une simple extension (variante) aspectuelle. (R. Vivès, L’aspect dans les constructions nominales prédicatives : avoir, prendre, verbe support et extension aspectuelle, 1998 : 173)
Cependant, même si l’existence d’un sémantisme particulier est reconnue pour l’ensemble de la classe de verbes supports, ce problème n’est pas vraiment discuté pour les verbes de base, pour lesquels les discussions portent sur d’autres aspects.
Ainsi, le seul rôle de ces verbes, considérés purement et simplement comme « des mots grammaticaux comme les prépositions à et de » (M. Gross, 1998 : 25)consiste à « restructurer syntaxiquement la phrase, sans en changer le sens. » (M. Gross, 1998 : 26).
Cette opération syntaxique permet des modifications encore plus importantes dans la phrase, telle la présence de certains types de modifieurs, qui ne pourraient pas figurer dans la phrase à verbe plein correspondante.
Les discussions portant sur le verbe support faire envisagent précisément la syntaxe du verbe et de la phrase, dans le but de distinguer entre les valeurs possibles de ce verbe (verbe plein ou distributionnel, verbe auxiliaire, verbe support, verbe opérateur) et pour déterminer le fonctionnement particulier des constructions à verbe support.
Les paramètres formels et fonctionnels de la phrase retenus pour caractériser le verbe support faire sont généralement les mêmes dans les études : relation morphologique du nom objet avec un verbe à sémantisme plein, nature du déterminant du nom objet, transformations acceptées (passivation, relativation, extraction du complément du nom objet), types d’extensions (obligatoires ou facultatives) du nom objet (complément du nom, constituant infinitival, subordonnée). De plus, l’étude du verbe support faire touche au problème de la classification des noms, de la nominalisation et offre des éléments en vue de la structuration même du lexique du français. (J. Giry-Schneider, Les Nominalisations en français. L’opérateur «FAIRE» dans le lexique, 1978, 1987)
Concernant le sémantisme du verbe et celui de la phrase, les études ne font pas de remarques systématiques, mais elles signalent quand même certains aspects, autant de points de départ pour mener une réflexion sur ce sujet.
En fait, c’est l’étude syntaxique qui amène à s’interroger plus sérieusement sur le corrélat sémantique du fonctionnement constaté. Ainsi, J. Giry-Schneider (J. Giry-Schneider, 1978) fait remarquer que la phrase à verbe support opère une certaine sélection parmi les constructions des verbes distributionnels. Si le verbe distributionnel présente plusieurs types de constructions, la phrase à verbe support est à mettre en relation plutôt avec la construction transitive directe de celui-ci, avec une contrainte supplémentaire sur la nature des constituants. La contrainte de nature lexicale porte sur le constituant sujet, qui doit posséder non seulement le trait (+humain), mais aussi le trait (+agentif) pour que la phrase avec faire puisse fonctionner. De plus, si dans la phrase à verbe distributionnel le sujet humain est susceptible de recevoir une lecture double, seule l’interprétation agentive est sélectionnée dans la phrase à verbe support.
Parmi les exemples analysés par l’auteur, nous retenons ceux des verbes se ballader et atterrir, qui nous semble éclairants pour le rôle du verbe support faire à marquer l’opposition entre action volontaire et non volontaire (J. Giry-Schneider, 1978 : 168) :
(1) Jean se ballade. = Jean fait une ballade. L’instrument oublié par le chirurgien se ballade dans le corps de Jean. = ?*L’instrument oublié par le chirurgien fait une ballade dans le corps de Jean.
(2) Jean atterit. = Jean fait un atterissage. Ce roman a atteri chez Paul. = ?*Ce roman a fait un atterissage chez Paul.
Dans le cas du verbe offenser (J. Giry-Schneider, 1978 : 50), qui pourrait être proposé comme contre-exemple, il s’agit en fait de constructions syntaxiques différentes, qui correspondent l’une au sens volontaire, l’autre au sens non volontaire :
La construction avec faire offense correspond au sens non volontaire :
(3) (Cela + cette histoire + Jean) fait offense à Paul.
alors que le sens volontaire est exprimé par la construction faire une offense :
(4) Jean fait une offense à Paul. *Cette histoire fait une offense à Paul.
Plus que cela, l’auteur signale à plusieurs reprises que la phrase à verbe support relève en fait d’une spécialisation sémantique, qu’il s’agisse d’activités sportives (faire du ski), artistiques (faire du patinage), intellectuelles (faire de l’herborisation), artisanales (faire du tricot, faire la cuisine), techniques (faire l’enlèvement des ordures, faire l’entraînement des athlètes), ou même de désigner une activité professionnelle, un métier (faire des traductions, faire du blindage de voitures) (J. Giry-Schneider, 1978 : 119, 169, 185, 188, 288, 290).
Dans un autre ouvrage, cet auteur propose une discussion nuancée concernant le rôle sémantique à attribuer au constituant sujet de la phrase avec le verbe support faire, en opposition avec d’autres verbes supports fonctionnant comme des extensions de faire (disputer, écrire, signer) :
On peut se demander pourquoi faire a une beaucoup plus grande extension lexicale que disputer, ou écrire, ou signer ; par rapport à un certain nombre d’autres verbes, il joue en quelque sorte le rôle d’un verbe générique ; mais ce n’est pas une explication ; il faudrait trouver ce qu’il y a de commun, du point de vue sémantique, entre faire et les verbes qu’il peut remplacer ; à l’intuition, ce point commun c’est la notion d’être l’auteur, l’acteur, l’instigateur de quelque chose ; ainsi on est l’auteur d’une lettre, d’un chèque, l’acteur d’un match, l’instigateur d’une fête (Marie a fait une belle fête pour son anniversaire) ; dans les phrases qui contiennent un verbe autre qu’un Vsup, il en va différemment : on parle d’agent de l’action ou du procès, mais non d’auteur ; dans les phrases
Max a poussé le piano contre le mur.
ou Max lit le journal.
ou Max médite.
On dira que Max est agent du procès, mais non auteur ou instigateur. (J. Giry-Schneider, Les prédicats nominaux en français. Les phrases simples à verbe support, 1987 : 21-22)
Le sujet du verbe support faire semble donc posséder des propriétés beaucoup plus restrictives que celles de tout autre type de sujet humain. A part ces éléments de description sémantique du verbe support faire (et corrélativement de la phrase qui le contient), le même auteur signale encore un aspect intéressant. Ainsi, non seulement la phrase avec le verbe support faire a un sémantisme particulier par rapport à la phrase à verbe distributionnel correspondante, mais il semble que son fonctionnement soit également à mettre en corrélation avec l’opposition affecté/effectué.
J. Giry-Schneider (J. Giry-Schneider, 1978) formule cette idée à plusieurs reprises. Elle fait remarquer que la construction à verbe support entretient des rapports privilégiés avec les deux types de procès.
Concernant la transformation d’entités, la construction à verbe support intervient pour les verbes qui présentent l’alternance des noms pour la fonction d’objet direct. La construction à verbe support opère une distinction entre les constructions, elle manifeste une préférence pour l’objet qui désigne le résultat du procès et non pas celui avec un sens locatif (J. Giry-Schneider, 1978 : 193):
(5)
Jean cisèle ce vase.
Jean fait la ciselure de ce vase.
*La ciselure que Jean fait de ce vase est originale.
Jean cisèle ces motifs sur le porte-cigarettes.
Jean fait la ciselure de ces motifs sur le porte-cigarettes.
La ciselure que Jean fait de ces motifs sur le porte-cigarettes est originale.
Dans d’autres cas, la construction avec faire sélectionne le nom objet qui désigne une entité à reproduire, donc son emploi est lié à la création d’entités (J. Giry-Schneider, 1978 : 310). Cet aspect est d’autant plus intéressant qu’il s’agit de verbes qui possèdent plusieurs types de construction. Parmi ces constructions, faire sélectionne effectivement celles dont le nom objet désigne une entité qui peut servir de modèle, de point de départ à une activité de représentation : agrandir une photo, condenser (condenser un texte), adapter (adapter un texte, un morceau de musique), enregistrer (une voix, de la musique, un texte), réduire (une maquette, une oeuvre), arranger (un texte, de la musique).
Les procès de transformation et de création sont traités ensemble dans le cadre d’une discussion sur l’existence de sous-structures, définies par la suppression des compléments du nom objet dans la phrase avec faire. Pour cette situation précise, les compléments du verbe simple (distributionnel) ne peuvent pas figurer dans la construction avec faire (J. Giry-Schneider, 1978 : 111):
(6)
Jean casse les meubles.
Jean fait de la casse (E + ?de meubles).
Jean tricote un pull over.
Jean fait du tricot (E + *d’un pull over).
Vu les restrictions sur le déterminant du nom objet, l’auteur conclut que ces structures présentent une certaine autonomie, elles ne peuvent pas être considérées comme des sous-structures d’une hypothétique structure complète (de la forme N0 fait Dét V-n de N1).
La solution proposée consiste à rattacher ces structures à la sous-structure du verbe distributionnel correspondant, mais parfois cette structure est douteuse :
(7)
?Jean casse.
ou elle ne peut se rencontrer que dans un contexte approprié :
(8) Que fait Jean dans la vie ? - Il casse.
L’auteur fait également remarquer que les structures en question servent à désigner des métiers et que ce n’est qu’avec ce sens que la construction avec le complément du nom peut être acceptée (Jean fait de la casse de meubles. = Il a pour métier de casser tels ou tels objets).
Concernant la transformation, l’auteur formule explicitement l’idée d’une corrélation entre le verbe faire et ce type de procès :
Ces faits laissent penser que parmi les caractères sémantiques des constructions verbales qui admettent la construction N0 fait V-n à N1, celui d’action portant sur -ou modifiant- un seul objet à la fois peut être pertinent. (J. Giry-Schneider, 1978 : 45)
Les considérations sur le sémantisme des phrases avec le verbe support faire ne sont ni très fréquentes, ni très systématiques dans les ouvrages, mais elles introduisent cependant l’idée de la non-équivalence entre la phrase à verbe distributionnel et la phrase à verbe support.
Le niveau discursif implique des paramètres contextuels supplémentaires, qui peuvent aider à délimiter le sémantisme de la phrase avec faire, selon l’indication de G. Gross : ” Il serait intéressant de voir dans quelle mesure les verbes supports sont motivés. “ (G. Gross, 1993 : 19)
Nous proposons de discuter une série de séquences discursives, dont le fonctionnement permet de mesurer l’apport sémantique de faire, ce qui implique de remettre en question l’idée de l’équivalence entre le verbe distributionnel et la construction à verbe support.
Dans (9), le contexte d’insertion de la construction avec le verbe support rend explicite l’idée d’une action établie d’avance, qui n’est pas le fruit du hasard :
(9)
Après avoir fait vos achats en dix minutes, vous cherchez le fameux rayon « Préservatifs », à la parapharmacie. (Buron N. de, Chéri, tu m'écoutes ? : alors répète ce que je viens de dire... , 1998 : 57)
Dans cette séquence, le groupe verbal avec faire apparaît dans une circonstancielle de temps qui décrit justement un ordre prévu pour les événements, un programme d’action.
Pour faire des courses, ces effets sémantiques sont encore plus visibles, d’autant plus que cette construction n’a pas d’équivalent apparenté morphologiquement dans la classe des verbes distributionnels. Le fait que la correspondance verbe distributionnel – construction à verbe support ne soit pas parfaitement régulière nous semble d’ailleurs une raison de plus pour examiner de plus près la soi disante équivalence de deux types d’unités.
Dans les séquences suivantes, les paramètres contextuels mettent en évidence l’agentivité du sujet, l’intentionnalité qu’il manifeste dans ses actions :
(10)
Il a horreur de faire les courses. (op. cit. : 148)
(11)
Il fait les courses des voisins. (op. cit. : 78)
(12)
Et qui jurent avec votre veste de fourrure et votre pantalon noir (Vous croyez savoir que pour faire des courses dans des boutiques « chic » de Paris, il faut être soi-même élégante, à moins d'être une milliardaire excentrique de la jet-set.) (op. cit. : 146)
(13)
- Je suis ivre de fatigue... J'ai fait les courses de Noël toute la journée... et j'ai oublié le cadeau d'Attila...
- Mais tu l'achèteras demain, dit l'Homme paisiblement. (op. cit. : 148)
Dans (10), l’agentivité du sujet est induite par le modalisateur (avoir horreur), qui indique qu’il s’agit d’une action effectuée contre le gré de l’humain, donc d’un effort consciemment poursuivi.
Dans (11), l’agentivité du sujet est indiquée par le complément du nom (les courses des voisins), qui indique que l’humain qui accomplit l’action doit se plier aux exigences d’autrui, donc manifester une agentivité assez élevée pour pouvoir satisfaire ces exigences.
Dans (12), l’action est présentée comme exigeant un certain comportement, une préparation préalable de l’image de soi, nécessaire à l’accomplissement du rituel, une sorte de préméditation dans la conduite, qui ne peut être que le résultat d’une action intentionnelle.
La séquence (13) contient deux éléments contextuels qui appuient l’agentivité du sujet. Le premier, qui est le complément du nom objet de faire (courses de Noël), fait intervenir dans l’interprétation du texte les connaissances sur le monde : comme Noël est l’un des plus grands événements de l’année, la meilleure façon de le fêter consiste dans le fameux repas familial, avec la distribution de cadeaux. La préparation d’un tel événement implique donc un engagement de la part des gens, et évidemment beaucoup de réflexion dans le choix des courses. Le second élément, qui est le verbe oublier, est de nature purement linguistique. Ce verbe (dont le présupposé est du type savoir) peut recevoir dans le contexte une paraphrase du type : je n’ai pas acheté le cadeau d’Attila que je devais acheter, que j’avais prévu d’acheter. Cette paraphrase rend explicite l’idée d’une activité programmée, avec un but précis.
L’écart sémantique entre le verbe distributionnel et la construction à verbe support peut être soutenu par des paramètres syntaxiques relevant de la construction du verbe même.
Ainsi, dans (14), la construction à verbe support soulève le problème des restrictions de sélection sur les arguments :
(14)
“ Il voulait nous apprendre à nous méfier, à tourner sept fois l'instrument démonstratif dans nos têtes avant de répondre, à faire le choix d'une discipline, celle de la méthode axiomatique.” (Roubaud J., Mathématique : récit, 1997 : 93)
Comme J. Giry Schneider l’a signalé à plusieurs reprises, la construction à verbe support n’est possible ni pour toutes les constructions d’un verbe, ni pour tous les types de constituants. La paire choisir/faire le choix illustre vraiment cette situation : si choisir accepte un variété très large de constituants (aussi bien concrets qu’abstraits), faire le choix est orienté vers l’abstrait et il évoque un procès de réflexion intellectuelle préalable assez poussé.
D’ailleurs, la séquence examinée contient des éléments sémantiques convergents, qui appuient fortement cette idée d’effort intellectuel intense, orienté vers un but important : apprendre, tourner sept fois (…) dans nos têtes. Au-delà de l’idée de sélection dans un paradigme, faire le choix suppose donc une idée supplémentaire d’action réfléchie, de délibération, d’effort intellectuel intense, tout à la mesure de l’enjeu, qui peut avoir une importance décisive.
Dans (15), la réorganisation syntaxique des constituants dans le passage de la phrase à verbe distributionnel à la phrase à verbe support est encore plus intéressant, parce qu’elle marque très bien la différence sémantique entre les deux types de constructions :
(15)
“Désireuse de faire votre éducation, elle vous a acheté dans une boutique spécialisée dans les «condoms»” (op. cit. :58)
Si l’objet du verbe éduquer indique normalement le patient du procès, ce rôle sémantique n’est pas gardé dans la séquence à verbe support, dans laquelle c’est plutôt le bénéficiaire qui est envisagé. Faire votre éducation ne signifie pas l’éducation que vous subissez, mais plutôt l’éducation dont vous bénéficiez. D’ailleurs, cette interprétation sémantique est soutenue au niveau textuel, au niveau de la construction du verbe acheter, dont l’objet indirect (elle vous a acheté) désigne dans ce cas le bénéficiaire du procès.
Le fonctionnement de ces séquences montre incontestablement la non équivalence des deux unités linguistiques comparées.
Au niveau phrastique, la différence entre les deux types d’unités s’avère assez difficile à cerner, même si les auteurs la signalent, de manière plutôt irrégulière, dans leurs études. Par contre, au niveau discursif, cette différence apparaît de manière beaucoup plus nette, puisqu’elle engage dans la même mesure les niveaux syntaxique et sémantique de la construction. Le changement sémantique peut intervenir de manière discrète, sans modifications spectaculaires sur le plan syntaxique non plus.
Giry-Schneider, Jacqueline. Les Nominalisations en français. L’opérateur « FAIRE » dans le lexique, Genève, Librairie Droz, 1978, pp. 353
Giry-Schneider, Jacqueline. Les prédicats nominaux en français. Les phrases simples à verbe support, Genève, Librairie Droz, 1987, pp. 396
Gross, Gaston. « Trois applications de la notion de verbe support », L’Information grammaticale no. 59, 1993, pp. 16-22
Gross, Maurice. « La fonction sémantique des verbes supports », Travaux de linguistique, no. 37, 1998, pp. 25-46
Ouerhani, Béchir. « Les critères de définition des verbes supports entre le français et l’arabe », Composition syntaxique et figement lexical, François, Jacques, Mejri, Salah (sous la direction de), France : Presses Universitaires de Caen, 2006, pp. 55-72
Riegel, Martin, Pellat, Jean-Christophe, Rioul, René. Grammaire méthodique du français. Paris, Presses Universitaires de France, 1994, pp. 646
Vivès, Robert. « La prédication nominale et l’analyse par verbes supports », L’Information grammaticale no. 59, 1993, pp. 8-15
Vivès, Robert. « L’aspect dans les constructions nominales prédicatives : avoir, prendre, verbe support et extension aspectuelle », Lingvisticae Investigationes VIII, no. 1, 1998, pp. 161-185
Willems, Dominique. « Analyse des critères d’auxiliarité en français moderne », Travaux de linguistique, no. 1, 1969, pp. 87-96