En guise d’introduction

Lors de mon passage en mars 2008 à l’Universidad de Puerto Rico [Recinto de Rio Piedras], je ne soupçonnais pas du tout que j’allais revenir un an plus tard avec une tâche (presque) accomplie. En mars 2008 j’avais été invité pour donner deux conférences dans le cadre de la Semaine de la Francophonie.

Les contacts établis avec les collègues du Departamento de Lenguas y literaturas extranjeras se sont soldés par une invitation plus qu’ honorable pour moi: diriger comme premier éditeur invité un numéro de la revue Romanitas. Lenguas y literaturas romances. Dans mon enthousiasme face à cette mission stimulante, j’ai proposé un titre thématique qui allait être accepté par le comité scientifique de la rédaction de la revue: «Littératures latino-américaines et caribéennes : regards européens». Ce qui a donné en espagnol le titre définitif «Literaturas latinoamericanas y caribeñas: Perspectivas europeas».

L’étape suivante: comment cibler les auteurs potentiels? La stratégie choisie était double: primo un „call for papers“ lancé par la revue et secundo un courrier que j’ai adressé aux experts européens (allemands, autrichiens, français, italiens et polonais) que je connaissais personnellement ou dont je connaissais au moins la qualité de la recherche dans le domaine qui nous intéressait ici. Il était convenu également que nous allions privilégier les aspects plutôt contemporains (après 1945) des littératures latino-américaines et caribéennes.

L’intention initiale a été de dresser un tableau aussi complet que possible de la continentalité et de l’insularité de ces littératures. Malheureusement, cet aspect du projet n’a pas pu être réalisé tel que conçu, vu d’un côté les délais imposés aux auteurs, et de l’autre vu l’intérêt des auteurs par rapports au choix thématique. Certains articles ont donc été acceptés malgré le fait qu’ils ne respectaient pas forcément le cadre temporel (l’après-guerre) et d’autres ont dû être écartés pour des raisons avancées par le comité scientifique.

Si maintenant vous tenez en main ce volume de la revue Romanitas, vous allez constater qu’il manque quelques parties prévues initialement: la préface/présentation de l’éditeur invité (Peter KLAUS), les résumés bilingues des articles retenus dans ce volume et les notices bio-bibliographiques des auteurs.

Pour ce qui est de l’absence de la préface / présentation de l’éditeur invité, elle est due à plusieurs raisons: au moment de mon départ pour Puerto Rico, une publication dans les temps paraissait invraisemblable vu les aléas du financement de la revue et en rapport direct avec cela, le financement difficile des „Premières Journées Internationales de Romanitas“ (25 et 26 mars 2009). à cela s’ajoutait le fait qu’on n’avait pas encore finalisé le contenu définitif du volume. Pour l’éditeur invité il y avait donc encore des choses à régler avant publication.

Pourtant, Puerto Rico se situant dans les Caraïbes et les Caraïbes étant soumises aux lois insondables du réalisme merveilleux, le miracle s’est fait à la toute dernière minute. L’éditeur en chef de la revue, José Hernandez Rosario, a réussi à faire débloquer le financement pour l’impression de la revue le 18 ou 19mars 2009. Quand je suis arrivé il manquait encore deux articles qui avaient été perdus dans les méandres des serveurs respectifs. Finalement tous les textes ont pu être finalisés pour l’impression le vendredi 20 mars et le présent volume a fait l’objet d’un lancement public le mardi 24 mars en soirée au Musée de l’Universidad de Puerto Rico, Recinto de Rio Piedras lors d’une petite cérémonie extrêmement conviviale en présence de nombreux collègues et amis. Mais c’est un livre „amputé“ des parties que j’ai évoquées plus haut. L’absence de ces parties, somme toute vitales, est à imputer à mon scepticisme européen vis-à-vis du monde magique des Caraïbes. Lecteur avide des littératures caribéennes, j’aurais dû être averti.

Présentation

L’intention initiale a été de dresser un tableau plus ou moins complet des littératures latino-américaines et caribéennes telles que réflétées par la critique européeenne. La réalité se présente un peu différemment. Au lieu d’un grand ensemble nous vous présentons plutôt quelques aspects ponctuels et exemplaires. Le volume est divisé en quatre parties: trois parties sont consacrées aux littératures caribéennes francophones et hispanophones , dont les Antilles françaises, Haïti et Cuba. L’immense continentalité de l’Amérique latine est représentée par quatre contributions dont une consacrée au Chili, une à une auteure originaire d’Uruguay et deux autres au Brésil. Certains articles qui ne se trouvent pas dans ce volume seront publiés en ligne ultérieurement.

Ce qui est intéressant dans ce choix d’articles est le fait que plusieurs articles s’articulent autour d’un type particulier da la réception : la traduction. On y reviendra.

Le premier groupe de textes tourne autour da la littérature des Antilles françaises. Danielle Dumontet se consacre à la difficile réception de la littérature de cette francophonie, une réception qui souffre encore souvent des préjugés hexagonaux par rapport aux littératures issues de l’époque postcoloniale et des clichés avec lesquels on caractérise les littératures du Sud, baroque, sensualité, exotisme. Est-ce la revanche de l’Hexagone par rapport à une littérature, celles des Antilles qui écrirait, depuis les années 1930 contre la littérature métropolitaine? Dorothée Scholl thématise dans son article l’humanisme universaliste des grands Antillais Aimé Césaire, Frantz Fanon et édouard Glissant. Sa contribution très bien structurée actualise l’humanisme des trois écrivains et penseurs et les met en rapport entre eux, afin de découvrir entre autres une actualité de l’humanisme de Fanon et elle se demande si face au „chaos-monde“ et au „Tout-monde“ la littérature issue de ces imaginaires ne peut être que „baroque.“ Kahiudi Claver Mabana se concentre sur deux romans de Patrick Chamoiseau, „Solibo le magnifique“ et „Texaco“. Mais avant d’entamer l’analyse des deux romans il discute les différentes théories autour de l’“oral“ en littérature, un aspect non-négligeable d’une littérature marquée par l’apport d’une culture créole.

Le deuxième groupe de textes porte sur la littérature haïtienne. Là aussi nous constatons une absence somme toute importante. Car ce qui caractérise la littérature haïtienne depuis plus de 40 ans est le fait qu’il s’agit d’une littérature plurielle, produite en grande partie en disapora, ce qui nous fait distinguer une littérature „du-dedans“ d’une littérature „du-dehors“. Anja Bandau analyse le roman „La danse sur le volcan“ de Marie Vieux-Chauvet en tant que lecture de l’histoire de la révolution haïtienne et elle s’interroge sur la véritable portée du roman. Pour Anja Bandau, ce récit serait exemplaire de plusieurs façons vu qu’ à travers le récit des transformations radicales d’une société, il raconterait en même temps l’essai de la fondation d’une nation et cela entre autres par l’intermédiaire du rôle de la femme de couleur.

Elisabeth Bladh, quant à elle, apporte une toute autre contribution en nous proposant une lecture des „Gouverneurs de la rosée“ à travers la traduction du roman en suédois. Elle focalise son étude sur trois aspects, le paratexte, la traduction et la réception dans la presse. La traduction se heurte entre autres aux problèmes inhérents au texte d’origine qui propose par moments des aspects créolisés de la langue, technique difficile à rendre en suédois. Mais le problème intralinguistique n’est pas le seul problème pour la réception d’une œuvre littéraire. La critique porte aussi une certaine responsabilité. Ulrich Fleischmann, grand connaisseur d’Haïti dont la thèse de doctorat a été traduite en créole haïtien, valorise ici un des monuments de la littérature haïtienne de la fin du 19e siècle, le poème «Choucoune» d’Oswald Durand. Le dernier article dans cette section a été soumis par Alba Pessini. C’est le seul article consacré à la littérature haïtienne de la diaspora et qui a pour sujet l’effacement du paysage du pays d’origine, une thématique propre à la littérature de l’exil. Lydie Royer, quant à elle, présente un article qui essaie de rapprocher deux littératures écrites dans deux langues majeures de la Caraïbe, l’espagnol et le français, celle de deux écrivains martiniquais et celle de deux écrivains Cubains. Il est intéressant de noter les points „communs“ de ces textes métissés qui ont en partage la musicalité de la langue, la mer, la terre sans qu’ils reflètent pour autant une vision identique.

Klaus-Dieter Ertler nous présente un aspect de la littérature cubaine contemporaine à l’exemple du roman autobiographique „Chiquita“ de Antonio Orlando Rodriguez pour lequel l’auteur a obtenu le prix littéraire espagnol Alfaguara. L’auteur vit et travaille aux états-Unis depuis 1991. La littérature cubaine contemporaine est également une littérature plurielle, tout comme celle d’Haïti, marquée entre autres par l’exil politique de nombreux auteurs. Les thèmes de l’exil, des mémoires métissées et des contre-discours subversive de la „cubanidad“ officielle ont imprégnés l’écriture cubaine des dernières décennies, nous dit Klaus-Dieter Ertler.

Dans son article sur l’auteur cubain Carlos Montenegro, Susanne Klengel tente de rendre justice à une œuvre carcérale et homosexuelle. L’analyse se fait autour de la redécouverte d’un auteur oublié et de la discussion d’une des traductions du roman paru à Paris et des malentendus ainsi véhiculés entre le texte original et le texte traduit.

Beatriz Calvo, quant à elle, consacre un article à la poétesse Cristina Peri Rossi, originaire d’Uruguay et qui s’est réfugiée en Espagne lors de la dictature dans son pays. Il s’agit d’une œuvre courronnée de nombreux prix littéraires, une œuvre traduite en allemand également, vu que l’auteure a pu profiter d’une bourse pour artistes et a ainsi passé un an à Berlin. Le recueil de poèmes de l’auteure reflète la situation de l’exil où la création littéraire peut être considérée comme une sorte de thérapie.

Jessica Gevers travaille depuis quelque temps sur les femmes latino-américaines exilées en Amérique du Nord plus particulièrement au Canada et qui continuent à écrire ou dans leur langue maternelle ou en anglais. Dans le présent article, elle concentre ses analyses sur les textes d’une auteure chilienne-canadienne publiés aussi bien en anglais au Canada qu’en espagnol au Chili. C’est encore un travail sur l’exil et sur l’adoption de la langue de l’autre et sur le croisement de langues et de cultures.

Sonja Steckbauer a travaillé sur l’auteur brésilien Moacyr Cliar et l’histoire de la judaïté brésilienne telle qu’ évoquée par „El diamante errante“. Berthold Zilly clot le volume avec une réflexion très érudite et extrêmement riche en information sur la traduction en allemand du chef d’œuvre et premier roman de l’écrivain libano-brésilien Raduan Nassar. La recherche se concentre sur la transculturalité et la traductibilité du livre, spécialement par rapport à sa réception dans les pays de langue allemande. Il est intéressant de noter le dialogue entres les cultures (Moyen-Orient, Brésil). La difficulté du traducteur devrait être insurmontable vu la prose hautement poétique, rhétorique et dramatique, qui oscille entre le sublime et le colloquial, nous dit B. Zilly. Une poéticité qui n’exclut pas l’actualité du texte de Nassar.

Nous avons vu que le hasard a bien fait les choses puisque curieusement plusieurs auteurs se sont penchés sur les difficultés transculturelles et interlinguistiques de la traduction, et cela aussi bien dans des œuvres haïtiennes que cubaines et brésiliennes. La traduction comme un genre de la réception littéraire a donc trouvé ici une excellente plateforme et nous espérons que les lecteurs de la revue nous confortent dans cette vision. Un autre aspect qui marque un certains nombre d’articles réunis dans ce volume est la situation de l’exil, de l’exilé et de la difficile situation de la perte des origines (langue et culture) ainsi que le processus de l’acculturation. Les littératures latino-américaines et caribéennes deviennent ainsi des témoins d’une transformation en profondeur des imaginaires aussi bien que des sociétés.