À la mémoire de Jacqueline Leiner
Vers un nouvel humanisme…
La compréhension des hommes…
Je crois en toi, Homme…
Le préjugé de race…
Comprendre et aimer…
[…]
L’homme est un OUI vibrant aux harmonies cosmiques.
Frantz Fanon [1]
Dans les années de guerre et de l’après-guerre, la réflexion sur l’homme se renouvelle et les humanismes fourmillent. De nombreux intellectuels se sentent appelés à réfléchir sur la nature et la destinée de l’homme dans un monde en ruine, entièrement à reconstruire. Les uns cherchent à renouer avec la tradition de l’humanisme européen, d’autres rejettent cette tradition. Qu’il s’agisse de l’humanisme « chrétien » et « intégral », ou de l’humanisme « marxiste », « athéiste » ou « existentialiste », tous ces humanismes divers, qu’ils viennent de droite ou de gauche, extériorisent des regards eurocentriques sur l’homme et son univers.
Or, dans la perspective d’auteurs antillais de l’époque coloniale et postcoloniale, ces regards sont des regards myopes qui ne prennent en compte que l’homme « blanc » et la philosophie « occidentale » et qui, de plus, impliquent la prétention d’une supériorité de la « race blanche » qui se surestime. Même l’humanisme d’un auteur comme Sartre, qui s’était engagé pour la reconnaissance de poètes noirs [2] est mis en question. [3] Car, aux yeux des intellectuels antillais, l’altruisme des philosophes occidentaux bien intentionnés révèle un déséquilibre humiliant entre un Moi posé comme supérieur et investi du pouvoir d’expliquer le monde et un Autre considéré comme inférieur – y compris la femme. [4] Réagissant aussi à la conception essentialiste de l’homme propagée par l’humanisme occidental, des auteurs comme Aimé Césaire, Franz Fanon et Édouard Glissant opposent à l’humanisme traditionnel un nouvel humanisme qui prend en compte les marges et qui, pour s’imposer, adopte le langage du centre tout en transformant ce langage d’une manière radicale. Cette transformation est un phénomène poétique qui se manifeste aussi dans l’œuvre métapoétique ou théorique des auteurs en question.
Dans la suite, je me propose d’examiner de plus près les attitudes de ces trois auteurs martiniquais concernant les humanismes de provenance européenne, leurs positions par rapport au concept d’humanisme en général et leurs stratégies rhétoriques et littéraires qui permettent de repenser le système de valeurs propagé par l’humanisme occidental et de fonder une éthique et une esthétique d’un nouvel humanisme.
Dans le Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire attaque l’humanisme occidental avec impétuosité. Il y discerne une immoralité fondamentale. Le geste de Césaire est iconoclaste. Au moyen d’une rhétorique pamphlétaire [5] , qui s’inscrit dans la tradition des manifestes politiques et aussi des avant-gardes historiques, Césaire renverse les idoles et brise les statues. Le reproche majeur de Césaire porte sur l’hypocrisie d’une « civilisation » qui masque ses désirs de pouvoir et de richesse sous des apparences philanthropiques et qui pratique l’exploitation des ressources jusqu’au dépouillement spirituel et matériel des peuples tout en prétendant de « civiliser » par la colonisation et la christianisation.
[…] colonisation = chosification. […] On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification. […] les Indiens massacrés, le monde musulman vidé de lui-même, le monde chinois pendant un bon siècle souillé et dénaturé ; le monde nègre disqualifié ; d’immenses voix à jamais éteintes ; des foyers dispersés au vent ; tout ce bousillage, tout ce gaspillage, l’humanité réduite au monologue et vous croyez que tout cela ne se paie pas ? [6]
Césaire attaque les « chiens de garde du colonialisme » avec une fougue qui fait de son Discours un chef-d’œuvre de la satire caricaturale et grotesque :
Donc, camarade, te seront ennemis – de manière haute, lucide et conséquente – non seulement gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires, non seulement colons flagellants et banquiers goulus, non seulement macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes fielleux, académiciens goîtreux endollardés de sottises, ethnographes métaphysiciens et dogonneux, théologiens farfelus et belges, intellectuels jaspineux, sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche ou chutés calenders-fils-de-Roi d’on ne sait quelle Pléiade, les paternalistes, les embrasseurs, les corrupteurs, les donneurs de tapes dans le dos, les amateurs d’exotisme, les diviseurs, les mystificateurs, les baveurs, les matagraboliseurs, et d’une manière générale, tous ceux qui, jouant leur rôle dans la sordide division du travail pour la défense de la société occidentale et bourgeoise, tentent de manière diverse et par diversion infâme de désagréger les forces du Progrès – quitte à nier la possibilité même du Progrès – tous suppôts du capitalisme, tous tenants déclarés ou honteux du colonialisme pillard, tous responsables, tous haïssables, tous négriers, tous redevables désormais de l’agressivité révolutionnaire. [7]
Ce genre de grotesque est un élément esthétique présent dans la tradition littéraire de l’humanisme occidental. Ce n’est pas cette tradition littéraire que Césaire attaque. C’est l’humanisme qui se déclare universaliste sans l’être vraiment. Césaire distingue entre un humanisme « faux » – qui serait un instrument de propagande et de dissimulation dans l’intérêt d’une race qui se considère comme une élite – et un humanisme « vrai » qui vise le bien-être et l’épanouissement de tous les hommes du monde sans distinction de race ou de classe.
[…] jamais l’Occident, dans le temps même qu’il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai – l’humanisme à la mesure du monde. [8]
Un des procédés les plus efficaces de Césaire est de « retourne[r] sans cesse contre l’adversaire ses propres armes », comme l’a souligné Jacqueline Leiner [9] , et de mettre en œuvre une inversion systématique et radicale du discours racial traditionnel, comme l’a remarqué plus récemment Mara de Gennaro [10] , inversion subversive pratiquée déjà dans le Cahier d’un retour au pays natal. [11]
Pour révéler l’inhumanité des théories dites « humanistes » de l’Occident, Césaire crée une image fantôme de l’Occident, comme celui-ci avait auparavant créé une image fantôme de l’Afrique et des peuples colonisés. Loin d’être par principe anti-européen, le geste iconoclaste de Césaire correspond et répond à l’iconoclasme qu’en Europe le marxisme et la psychanalyse avaient pratiqué contre la tradition humaniste. Dans les deux cas, l’humanisme « ancien » est interprété comme un agent d’aliénation. Quant à l’attitude de Césaire par rapport à l’humanisme occidental, l’orientation éthique est de première importance. Au lieu de jeter le soupçon sur la morale conçue elle-même comme un moteur d’aliénation ou de l’interpréter comme une mise en œuvre au service d’une orientation capitaliste (comme c’était le cas de Max Weber avec Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus, 1905), Césaire condamne l’abandon de valeurs éthiques en faveur de valeurs propagées par le capitalisme et éclaire non seulement l’aliénation psychique et morale du colonisé, mais aussi celle du colonisateur et de la situation culturelle qui résulte de la dialectique entre maître et esclave. Sans égard aux implications éthiques du Discours, on passerait à côté de son sens. Césaire soumet la colonisation à une analyse axiologique et arrive à un renversement complet des valeurs :
Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral […].[12]
Or, les vices auxquels Césaire fait allusion, la convoitise, la violence, la haine, sont des vices que le christianisme a toujours considérés comme des péchés capitaux. Césaire juge donc les colonisateurs et leurs supports idéologiques [13] selon leurs propres exigences morales. C’est en faisant appel aux valeurs éthiques généralement acceptées que Césaire arrive à démythifier le discours « philanthropique » et « pseudo-humaniste » et de mettre en lumière l’immoralité fondamentale et constitutive qu’il décèle dans un grand nombre de représentants de l’humanisme occidental.
Quarante ans plus tard, Édouard Glissant insistera sur le fait qu’à l’intérieur de l’humanisme occidental nous avons des voix comme celle de Montaigne, des voix qui ont été marginalisées, étouffées ou passées sous silence. [14] < Ajoutons que la conception « universaliste » d’un humanisme qui repose sur l’idée fondamentale que l’humanité contient chaque individu et que chaque individu contient l’humanité a déjà été exprimée par Montaigne : Chaque homme porte en soi la forme entière de l’humaine condition. [15]
Si paradoxal que cela puisse paraître à première vue, il faut voir que Césaire rejoint cette idée avec son concept de « négritude », concept qui, comme celui de « l’universalisme » de Césaire, a fait objet de violentes polémiques que nous ne pouvons pas discuter ici. [16] Aux yeux de Césaire, la négritude permet de lier le particulier à l’universel. Comme son ami Senghor, Césaire conçoit la négritude comme un humanisme [17] , parce qu’elle est une réflexion sur l’homme et l’humanité et parce que le drame de l’humilié et de l’offensé concerne tous les hommes, l’universel. [18] La négritude n’est pas liée à une couleur, mais à une condition humaine. C’est pourquoi elle concerne aussi les « nègres blancs d’Amérique ». [19]
À l’humanisme abstrait et décrété, Césaire oppose un humanisme concret et engagé et met en œuvre les « armes miraculeuses » de la poésie. Rompant avec les formes imposées, il accède à la négritude comme point de départ de ce nouvel humanisme. Dans le Cahier d’un retour au pays natal, le parcours du Moi poétique retrace ce processus de la libération qui est en même temps une prise de conscience. Dès le début, Césaire démythifie l’image exotique de la Martinique imposée et transmise par l’Europe en révélant sa situation comme le résultat d’une profonde aliénation :
Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri […].[20]
La négritude n’est pas un renfermement sur soi-même, sur ses racines, mais elle est une ouverture vers tout homme victime :
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif
un homme-cafre
un homme-hindou-de-Calcutta
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas […][21]
Vers la fin du parcours que traverse le Moi poétique du Cahier, et qu’on pourrait décrire comme un rite initiatique à un humanisme nouveau, la dignité humaine s’affirme de plus en plus jusqu’à éclater dans la joie d’une prise de conscience – et de confiance – dans l’humanité.
Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent […].
[…] l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force […][22]
Aujourd’hui, on ne mettrait plus en doute une telle déclaration. Mais du point de vue historique, elle marque un tournant dans la conception dominante de l’homme à l’époque. L’affirmation et la conquête d’une identité personnelle et collective porte le Moi poétique du Cahier vers un humanisme aux aspirations universelles :
vous savez que ce n’est point par haine des autres races
que je m’exige bêcheur de cette unique race
que ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle [23]
Avec son orientation universaliste, Césaire cherche à abolir non seulement les frontières entre les hommes. La poésie – qui est aussi une qualité fondamentale du théâtre de Césaire [24] – élargit l’horizon et approfondit l’espace de l’homme. Elle devient l’expression d’un humanisme qui ne se borne pas à la relation du Moi à l’Autre, mais qui implique aussi la relation de l’homme à la nature dans sa force communicative, interpellante, révélatrice :
on a beau peindre blanc le pied de l’arbre
la force de l’écorce en dessous crie… [25]
Entre l’homme et l’univers, il y a des accords, des analogies, des correspondances dont la poésie est l’exploration et l’expression.
À la base de la connaissance poétique, une étonnante mobilisation de toutes les forces humaines et cosmiques. […] En nous l’homme de tous les temps. En nous, tous les hommes. En nous l’animal, le végétal, le minéral. L’homme n’est pas seulement homme. Il est univers. [26]
L’idée des correspondances unifiantes entre l’homme et l’univers, entre « microcosme » et « macrocosme », est une idée ancienne qu’on trouve chez les mystiques et dans la philosophie syncrétique et « occulte » de la Renaissance [27] , comme aussi chez les romantiques (p.ex. Novalis), ou dans la modernité de Baudelaire et chez les surréalistes. Dans le domaine de la peinture, la poétique des correspondances est « visualisée » à travers l’art capricieux et combinatoire des « grotesques » qui cultive la « coïncidence des contraires » et décentralise, relativise et ironise la place prépondérante de l’homme dans l’univers en associant la figure humaine au règne animal, végétal, minéral et surnaturel. [28] Mais ce courant « transgressif » de pensée analogique a été occulté, marginalisé et dénigré par le rationalisme dissociant qui, intéressé à créer un ordre hiérarchique et à propager une idéologie de la pureté, ne voyait dans le paradigme des correspondances qu’accouplements monstrueux, mensongers, pervers, subversifs et chaotiques.
Par conséquent, l’imagination en tant qu’instrument « magique » de recherche et de découverte a été déclassée et disqualifiée. Le fait que le surréalisme – en Europe comme au Canada, en Afrique comme à la Caraïbe – devient un instrument de libération qui permet aux écrivains de s’affranchir des normes imposées par une esthétique et une éthique traditionnelles est hautement significatif. La réhabilitation de l’imagination comme faculté analytique et synthétique qui porte sur l’aspect magique, merveilleux, sur-réel du monde, se rencontre avec les aspirations des auteurs de la négritude qui cherchent à se débarrasser de modèles normatifs. [29] La nouvelle esthétique qui résulte de cette libération n’est pas un art pour l’art, mais elle est déjà le signe de l’émancipation inaugurée par la création. L’importance accordée dans la revue Tropiques à la faune et à la flore antillaise va beaucoup plus loin que la recherche d’une couleur locale. Annie Le Brun y voit « une façon de conjurer le double massacre des êtres et du paysage perpétré par la colonisation, où, tout normalement, ethnocentrisme, anthropocentrisme et rationalité s’étaient, une nouvelle fois, rejoints à des fins de rendement ». [30]
En ce qui concerne l’idée d’un nouvel humanisme, il est donc important de prendre en considération ce courant ancien et moderne des correspondances qui cherche à surmonter l’aliénation et la séparation entre l’homme et son entourage. Césaire le renouvelle avec sa poésie conçue comme une investigation qui ouvre l’espace du dedans et du dehors pour approfondir les rapports qui lient les hommes entre eux, à l’histoire, à la culture et aux règnes animal, végétal et minéral.
Dans Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon entreprend une analyse psychologique et psychanalytique des mentalités du « Blanc » et du « Noir » issues de la situation coloniale et diagnostique des deux côtés une aliénation profonde. Selon Fanon, le contact interculturel entre « Noirs » et « Blancs » victimes du colonialisme est marqué par une « altération de la personnalité » [31] qui se manifeste aussi par le grotesque (au sens courant du mot), p.ex. lorsque le « Noir » cherche à imiter le « Blanc » dans ses manières de se comporter et de s’exprimer, ou quand le « Blanc » adopte le « parler petit-nègre » et se montre paternaliste envers le « Noir ». Comme Césaire, qu’il cite fréquemment, Fanon attaque l’humanisme occidental pour avoir infligé à l’homme de couleur sa dégradation intellectuelle et morale.
[…] je commence à souffrir de ne pas être un Blanc dans la mesure où l’homme blanc m’impose une discrimination, fait de moi un colonisé, m’extorque toute valeur, toute originalité, me dit que je parasite le monde, qu’il faut que je me mette le plus rapidement possible au pas du monde blanc, « que je suis une bête brute, que mon peuple et moi sommes comme un fumier ambulant hideusement prometteur de canne tendre et de coton soyeux, que je n’ai rien à faire au monde [Aimé Césaire, Cahier d’un retour.] ». Alors j’essayerai tout simplement de me faire blanc, c’est-à-dire j’obligerai le Blanc à reconnaître mon humanité. [32]
Comme Césaire, Fanon cherche à trouver les moyens qui permettraient d’arracher les « masques blancs » posés sur des « peaux noires ». Il s’agit d’abord d’éveiller la conscience par la démythification des images auto- et hétérostéréotypées pour « aider le Noir à se libérer de l’arsenal complexuel qui a germé au sein de la situation coloniale » [33] afin de « rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre ». [34] Plutôt que de mettre l’accent sur des concepts qui accentuent les différences « raciales » entre « Noirs » et « Blancs », Fanon part d’un concept de l’homme « sain » qu’il oppose à un concept de l’homme « malade ».
L’analyse psychanalytique de romans appartenants à la littérature coloniale de la Martinique et inconscients de la négritude le conduit à mettre à jour les complexes d’infériorité du colonisé et de supériorité du colonisateur. La critique littéraire prend alors une valeur thérapeutique : elle démasque et dévoile les problèmes psychiques qui sont à la base de telle ou telle écriture ou de tel ou tel comportement. Mais, toujours dans le dessein de dévoiler et de surmonter l’aliénation, Fanon transgresse le discours théorique et accède à une écriture poétique. Afin de mieux communiquer la problématique psychopathologique de l’aliénation, il n’insère pas seulement des fragments du Cahier de Césaire, mais aussi des passages autoréflexifs écrits dans un style captivant et émouvant.
– Martiniquais, originaire de « nos » vieilles colonies.
Où me cacher ?
– Regarde le nègre !… Maman, un nègre !… Chut ! Il va se fâcher… Ne faites pas attention, monsieur, il ne sait pas que vous êtes aussi civilisé que nous…
Mon corps me revenait étalé, disjoint, rétamé, tout endeuillé dans ce jour blanc d’hiver. […] le petit garçon blanc se jette dans les bras de sa mère : maman, le nègre va me manger.
Alentour le Blanc, en haut le ciel s’arrache le nombril, la terre crisse sous mes pieds et un chant blanc, blanc. Toute cette blancheur qui me calcine… [35]
Pour exprimer la situation de celui qu’on juge d’après son apparence et qu’on enferme dans des idées préconçues et stéréotypées, Fanon a recours aux métaphores de la prison, de l’emprisonnement et de l’esclavage.
Ce jour-là, désorienté, incapable d’être dehors avec l’autre, le Blanc, qui, impitoyable, m’emprisonnait, je me portai loin de mon être-là, très loin, me constituant objet. […] Je voulais tout simplement être un homme parmi d’autres hommes. […] Je voulais être homme, rien qu’homme. [36]
Comme Césaire, Fanon va par l’approfondissement poétique du particulier à l’universel. La métaphore de la prison devient alors une métonymie qui désigne la condition humaine aliénée par la « maladie » de l’inhumain. Autrement dit : L’esclavage n’est pas aboli tant que les hommes enferment leurs semblables dans des images méprisantes et dégradantes, préjugés d’où les victimes ne peuvent pas sortir. L’humanisme de Fanon n’a pas perdu son actualité.
Tandis que l’humanisme de Fanon aspire à la désaliénation de l’homme « noir » autant qu’à celle de l’homme « blanc » afin de trouver un équilibre « sain » dans les rapports interhumains, une des préoccupations de Glissant est de décomplexer le métis – qui est lui-même sujet aux pulsions racistes [37] – en le posant en exemple d’une humanité de plus en plus hybride. La « honte » du métissage doit se transformer en fierté :
La Relation porte l’univers au fécond métissage. Ceux qui vivent cet état ne sont plus (en conscience) des victimes pathétiques : ils sont lourd d’exemplarité. [38]
Tandis que l’humanisme de Césaire repose sur la découverte et la valorisation de la négritude, d’une négritude profondément enracinée dans la culture africaine, Glissant part de l’idée du métissage et remplace l’idée de la filiation par celle de la relation [39] et le concept de l’ « universel » par celui de la « créolisation » qui signifie un « métissage sans limites, dont les éléments sont démultipliés, les résultantes imprévisibles ». [40] Dès lors, l’identité n’est plus éclairée par l’appartenance à une seule racine, mais le concept (« moderniste ») de la racine se voit transformé par celui (« postmoderniste ») du rhizome qui mène à la « poétique de la Relation » :
Gilles Deleuze et Félix Guattari ont critiqué les notions de racine et peut-être d’enracinement. La racine est unique, c’est une souche qui prend tout sur elle et tue alentour ; ils lui opposent le rhizome qui est une racine démultipliée, étendue en réseaux dans la terre ou dans l’air, sans qu’aucune souche y intervienne en prédateur irrémédiable. La notion de rhizome maintiendrait donc le fait de l’enracinement, mais récuse l’idée d’une racine totalitaire. La pensée du rhizome serait au principe de ce que j’appelle une poétique de la Relation, selon laquelle toute identité s’étend dans un rapport à l’Autre. [41]
À travers ses textes flottants entre poésie et théorie poétique et culturelle, Glissant met en pratique cette « poétique de la Relation ». Au lieu de construire – avec des idées reçues et stéréotypées – un Autre transparent, la «poétique de la Relation» prend en compte l’opacité de l’Autre et propose à la place d’une idée essentialiste sur le Moi et l’Autre une idée relationnelle.
L’opacité est aussi une qualité de l’écriture poétique. Ici entre en jeu le concept glissantien de l’ « intention poétique », c’est-à-dire, l’œuvre poétique, par la mobilisation de l’imaginaire, dépasse la volonté et la conscience de son créateur : « L’écrivain est toujours le fantôme de l’écrivain qu’il veut être ». [42] L’opacité créée est aussi le résultat du fait que l’écrivain ne peut ni ne veut être omniscient. Il ne prétend pas à saisir l’absolu et encore moins à parler au nom d’un absolu quelconque. Par conséquent, l’« intention poétique » implique aussi une éthique qui n’est pas fixée d’avance, mais qui s’ouvre sur l’imprévisible, l’expérimentation et des rencontres insoupçonnées.
La « poétique de la Relation » brise les frontières. Elle s’étend jusque dans le domaine de la science, à condition que celle-ci s’ouvre vers l’Autre et l’espace relationnel. Selon Glissant, c’est le cas de l’ethnographie de Michel Leiris.
[…] “L’observateur attentif” qu’est (ou était) l’ethnographe devra s’inscrire au drame du monde : par-delà son analytique – en principe “solitaire” – il devra vivre une poétique (un partage). Ainsi Leiris. [43]
Il n’y a pas d’objectivité scientifique dans le domaine des sciences humaines. À chaque fois, il s’agit d’une certaine représentation du monde qui peut être relativisée par d’autres représentations. Étant donné la variété et la multiformité changeantes du monde, Glissant introduit les concepts du « Chaos-monde » et du « Tout-monde » :
J’appelle Chaos-monde le choc actuel de tant de cultures qui s’embrasent, se repoussent, disparaissent, subsistent pourtant, s’endorment ou se transforment, lentement ou à vitesse foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n’avons pas commencé de saisir le principe ni l’économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l’emportement. Le Tout-Monde, qui est totalisant, n’est pas (pour nous) total. [44]
J’appelle Tout-monde notre univers tel qu’il change et perdure en échangeant et, en même temps, la « vision » que nous en avons. La totalité-monde dans sa diversité physique et dans les représentations qu’elle nous inspire : que nous ne saurions plus chanter, dire ni travailler à souffrance à partir de notre seul lieu, sans plonger à l’imaginaire de cette totalité. [45]
Tandis que la rationalité impose un ordre au monde et enferme les idées dans des systèmes, l’imaginaire pénètre l’espace. À l’image de la créolisation, l’imaginaire est un carrefour de signes, le lieu où il y a confluence des diverses cultures du monde. C’est dans et par l’imaginaire que les contraires s’unissent, que les cultures s’accouplent. [46]
Selon Glissant, la politique, la philosophie et la théologie occidentales ont négligé l’aspect relationnel. « Seuls les poètes ici furent à l’écoute du monde, fertilisèrent par avance », [47] écrit-il. En réponse à la « mondialisation », qui est une nouvelle forme d’impérialisme [48] , les poètes sont appelés à prendre en charge la « mondialité » :
La conjonction des histoires des peuples propose aux poètes d’aujourd’hui une façon nouvelle. La mondialité, si elle se vérifie dans les oppressions et les exploitations des faibles par les puissants, se devine aussi et se vit par les poétiques, loin de toute généralisation. [49]
À la lumière de telles remarques il est clair que la Relation avec majuscule n’est pas à prendre comme une valeur en soi. Même si Glissant s’abstient le plus souvent de se prononcer sur la qualité des rapports, il s’avère héritier de l’humanisme de Césaire et de Fanon dans la mesure où il transpose les acquis humanistes de ces deux penseurs à la situation actuelle du monde. Le roman, par ses possibilités polyphoniques, lui permet de rappeler à la mémoire des voix, des réflexions et des revendications comme celles de Césaire et de Fanon. [50] Se méfiant des déclarations humanistes prescriptives et généralisantes, cet humanisme vise à mettre en relation non seulement les hommes et leurs histoires, mais aussi leurs cultures et leurs traditions (et de les repenser).
Ainsi le concept de « baroque » devient une notion-clé dans l’esthétique et l’éthique de la Relation. Il permet à Glissant de rattacher le discours dit « antillais » [51] à une tradition culturelle et de mettre en corrélation l’esthétique et l’éthique. Face au « chaos-monde », la littérature ne peut être que « baroque ». Avec Carpentier, Deleuze et d’autres, Glissant emploie la notion de baroque dans un sens transhistorique et transculturel. [52] C’est dans ce sens-là que des auteurs comme Rabelais, Faulkner, Joyce ou Pound ou un chanteur comme Bob Marley ou une langue comme la langue créole sont considérés comme « baroque ». [53] Tandis que l’esthétique classique ou classiciste serait une tentative d’imposer de l’ordre par l’octroi d’une norme « intolérante », l’esthétique baroque ou baroquisante « vise à signifier […] que toute connaissance est à venir, et que c’est ce qui en fait la valeur ». [54] Le baroque est ouverture, diversification, dépassement et mélange de genres et de styles, harmonie de contraires, prolifération, expansion, dynamisme, errance, confluence, et, parce qu’il correspondrait de ce fait même à la nature du monde, il aurait pu se « mondialiser ». [55] L’esthétique baroque, du point de vue éthique, signifie antidogmatisme, tolérance respectueuse, solidarité, ouverture vers l’Autre, rencontre avec l’Autre dans ses manifestations multiples et imprévisibles. C’est pourquoi Glissant met le baroque, considéré comme l’expression favorisée de « cultures composites, dont la composition ne fut pas d’une conjonction de “normes”, mais bâtie dans les marges » [56] en corrélation avec les concepts de métissage et de créolisation. Tandis que le baroque, issu de cultures « composites », serait une esthétique du rhizome, de l’ouverture et de l’extension, le classicisme, issu de cultures « ataviques », serait une esthétique de la racine, du renfermement et de la profondeur.
On peut bien sûr et avec de bonnes raisons mettre en cause les oppositions entre racine et rhizome, être et étant, profondeur et extension, rationalité et irrationalité, ordre et chaos, raison et imagination, mesure et démesure, classique et baroque. Nous savons aujourd’hui que le baroque contient des classicismes et le classicisme des baroquismes. Mais en même temps on ne peut pas nier le fait que pendant des siècles, les partisans du classicisme ont en effet cultivé une sorte d’impérialisme esthétique. C’est alors à partir d’une esthétique marginalisée que Glissant accède à une éthique qui n’est pas normative, mais relationnelle. Comme Césaire et Fanon, Glissant repense l’esthétique à partir de l’humain.
Nous dirons avec Aimé Césaire et avec Frantz Fanon […] que nous n’avons besoin de la mémoire (pour vivre et survivre) que parce que toute mémoire en la matière est d’abord un non oubli, l’oubli est le plus souvent chargé de complexes, d’enfermements, de blocages, ce que souligne Frantz Fanon : « je ne veux pas être l’esclave de l’esclavage », et aussi parce que chaque mémoire libérée est le premier moment de toutes les mémoires rassemblées, qui s’estiment au monde, comme le chante Aimé Césaire, « ne faites pas de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine. » [57]
Avec cette réflexion sur l’éthique et l’esthétique d’un nouvel humanisme chez Césaire, Fanon et Glissant, il nous a importé de rappeler à la mémoire les apports de cet humanisme qui s’est constitué et se communique à travers de nouvelles formes d’écriture poétique et théorique. Le nouvel humanisme des trois auteurs martiniquais, sorti de leur affranchissement par rapport aux discours anciens sur l’homme et sa place dans le monde, inaugure une nouvelle orientation dans les concepts humanistes. En même temps il renoue avec des traditions marginalisées (comme le baroque et le paradigme de la pensée analogique). Celles-ci sont interprétées d’une manière nouvelle afin de mobiliser les forces créatrices qui permettent de transformer le monde dans le sens d’un humanisme à la mesure de chaque individu. Chez Césaire, cette libération créatrice se fait par une écriture qui s’approche du surréalisme comme moyen d’accès à une identité disloquée, afin de reconstituer le rapport brisé entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’histoire, entre le Moi et l’Autre, entre l’imagination et la connaissance, entre le particulier et l’universel. Chez Fanon, cette libération créatrice se fait par une psychanalyse émancipatrice, critique et poétique, qui met à nu les mécanismes de l’aliénation pour accéder à une identité libérée de complexes d’infériorité ou de supériorité. Quant à Glissant, c’est la réévaluation esthétique et culturelle du concept de baroque à la lumière d’une éthique de la Relation qui permet de jeter un pont entre le passé et le présent et de surmonter les classifications et systèmes de pensée dissociants. Comme le concept césairien de l’analogie entre l’homme et l’univers, le concept glissantien de la Relation est un concept dynamique qui déplace ou renverse les idées préconçues sur l’homme et sa place dans le monde. Comme la poétique des correspondances, la poétique de la Relation mène vers une déshiérarchisation. Pour tous les trois, esthétique et éthique sont intimement liées, non pas d’une manière conventionnelle, mais surtout dans et par la possibilité transgressive que l’esthétique offre grâce à la mobilisation de l’imaginaire, car « Dans ce climat de feu et de fureur qu’est le climat poétique, les monnaies cessent de valoir, les tribunaux cessent de juger, les juges de condamner, les jurys d’acquitter » [58] . Tous les trois s’opposent à un humanisme normatif et défendent un humanisme prospectif et investigateur, ouvert sur la complexité du monde et au service du droit à la personnalité et à la dignité. Par là, le nouvel humanisme des trois auteurs est un antidote à toute instrumentalisation des identités au détriment d’autres identités. Il remédie à toute tendance hétérophobique qui, refusant une éthique de la relation, construit des différences antithétiques – racistes, sexistes, chauvinistes, etc. Répondons-y avec un mot de Césaire : Les « maniaques de l’antithèse […] sont aussi les impuissants de la synthèse ». [59]
[1] Franz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil (Points), 1952, p. 5-6. Retour
[2] Jean-Paul Sartre, « Orphée noir », in: Léopold Sédar Senghor (éd.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, Presses universitaires de France, 3e éd. 1972 [1ère éd. 1948], pp. IX-XLIV. Retour
[3] « […] Jean Paul Sartre, dans cette étude [Orphée noir], a détruit l’enthousiasme noir. […] Ce qui est certain, c’est qu’au moment où je tente une saisie de mon être, Sartre, qui demeure l’Autre, en me nommant m’enlève toute illusion.» Fanon (1952), pp. 108 et 111. Cf. aussi pp. 107-114. Retour
[4] La critique récente a souligné la convergence et les liens entre les revendications du féminisme et celles des penseurs dits fondateurs et pionniers de la pensée postcoloniale. Cf. à ce propos l’article très instructif d’Annabelle Golay, « Féminisme et postcolonialisme : Beauvoir, Fanon et la guerre d’Algérie », in : International Journal of Francophone Studies 10, 3 (2007), pp. 407-424. Retour
[5] Le discours de Césaire révèle un grand nombre de qualités du discours pamphlétaire : enthymématique, doxologique (dans la mesure où Césaire s’oppose à la doxa, aux vérités admises), agonique, satirique, pathétique, prophétique, « vision crépusculaire du monde », etc. Cf. la typologie du discours pamphlétaire établie par Marc Angenot dans La Parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes. Paris, Payot, 1982. Retour
[6] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris-Dakar, Présence Africaine, 1989, p. 19, p. 21 et p. 55. Retour
[9] Jacqueline Leiner, Aimé Césaire – Le terreau primordial, Tübingen, Narr, 1993, p. 82. Retour
[10] Mara de Gennaro, « Fighting “Humanism” on Its Own Terms », in : Differences – A Journal of Feminist Cultural Studies 14 :1 (Bloomington, Indiana 2003), pp. 53-73. Retour
[11] Cf. John D. Erickson, « Le Cahier d’Aimé Césaire et la subversion du discours magistral », in : Jacqueline Leiner (éd.), Soleil éclaté: Mélanges offerts à Aimé Césaire à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire par une équipe internationale d’artistes et de chercheurs, Tübingen, Narr, 1984, pp. 125-136. Retour
[12] Césaire (1989), p. 11. Retour
[13] Césaire cite entre autres Ernest Renan, Joseph de Maistre, Georges Vacher de Lapouge, Ernest Psichari, Émile Faguet, Jules Romains, Octave Mannoni, Yves Florenne, Roger Caillois, Henri Massis, Chateaubriand, Gobineau. Ibid., pp. 13-18 ; 26-51. Retour
[14] « À l’ère du positivisme triomphant, la conception de la culture (et non pas des cultures) est monolithique : il y a culture partout où le raffinement civilisationnel a mené à l’humanisme. Ainsi conçue, la culture se présente comme le pur abstract, l’essence de ce mouvement vers un idéal. Ceux qui y accèdent sont les pilotes et les garants du mouvement. Ils enseignent au reste du monde. Oublié, passé à la trappe, étouffé pour plus de trois siècles, le relativisme de Montaigne. » Édouard Glissant, Poétique de la Relation – Poétique III, Paris, Gallimard, 1990, p. 147. Retour
[15] Michel de Montaigne, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1962, p. 782. Retour
[16] Signalons la « défense » d’Aimé Césaire par Annie Lebrun, Pour Aimé Césaire, Paris, Jean-Michel Place, 1994, surtout pp. 7-22 et (à propos des reproches faites à l’universalisme « abstrait ») pp. 32-34. Signalons aussi Kathleen Gyssels, « Maryse Condé on Créolité », in : Gordon Collier / Ulrich Fleischmann (éds.), A Pepper-Pot of Cultures : Aspects of Creolization in the Caribbean, Amsterdam-New York, Rodopi, 2003, pp. 301-320, surtout pp. 305-317. Retour
[17] Les vues de Senghor sur l’humanisme et la négritude en tant que mouvement identitaire et culturel sont réunies dans Léopold Sédar Senghor, Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964 (Liberté I) et Id., Négritude et civilisation de l’universel, Paris, Seuil, 1977 (Liberté III). Selon Césaire, les différences entre lui et Senghor s’expliqueraient par les origines différentes des deux auteurs de la négritude. « Senghor est africain, il a derrière lui un continent, une histoire, cette sagesse millénaire aussi et je suis antillais, donc un homme du déracinement, un homme de l’écartèlement. Par conséquent, j’ai été appelé à mettre davantage l’accent sur la quête dramatique de l’identité. » Jacqueline Leiner, « Entretien avec Aimé Césaire, Paris, 1982 », in : Leiner (1993), pp. 128-143, ici p. 134. Retour
[18] Cf. Aimé Césaire. Une coproduction du service Magazines de Radio France Internationale et de l’UNESCO, 1996, Coll. « Les Voix de l’Écriture », ARCL 38, Disque II : Une pensée en action. [II,1 De la poésie au théâtre]. Cf. aussi Leiner (1993), pp. 139-141. Dans la lettre du 14 octobre 1956 à Maurice Thorez, où Césaire s’explique sur sa rupture avec le Parti Communiste, il écrit : « Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’ “universel”. Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. » Cf. http://www.humanite.fr/La-lettre-de-Aime-Cesaire-a-Maurice-ThorezRetour
[19] Cf. Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique [1968], Montréal, Typo, 1994. Les théoriciens de la négritude ont contribué à la « décolonisation de la conscience » chez les poètes franco-canadiens de la Révolution tranquille comme Gaston Miron. Sur l’influence de Césaire au Québec cf. la synthèse de Max Dorsinville, « L’Influence d’Aimé Césaire au Québec », in: Jacqueline Leiner (éd.), Soleil éclaté: Mélanges offerts à Aimé Césaire, Tübingen, Narr, 1984, pp. 115-123. Retour
[20] Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal / Return to my Native Land [1956], Paris, Présence Africaine, 1971, p. 33. Retour
[24] Pour des raisons d’espace, nous devons ici laisser de côté l’analyse du théâtre de Césaire et d’importants textes théoriques concernant la question de l’humanisme « abstrait » et « concret » comme son essai sur Toussaint Louverture. Cf. Aimé Césaire, Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial, Paris, Présence africaine, 2004. Dans son étude L’Humanisme dans le théâtre d’Aimé Césaire, Rodney E. Harris met en relief l’unité dans les héros césairiens, unité qui s’expliquerait par le rapport à leur créateur. Harris souligne plutôt la fermeté dans le caractère des protagonistes : « Chaque pièce met un chef en présence de ce peuple. Issu du peuple, il le connaît donc bien mais il le dépasse. Il voudrait le guider vers un idéal mais il se heurte souvent aux faiblesses et aux petitesses de ce peuple. Le chef est tendu vers un seul but, qui est de bâtir, bâtir l’homme nouveau. Il prophétise un avenir radieux mais la force de sa parole et de sa volonté ne suffit pas à combler le fossé qui se creuse entre son peuple et lui. À cause de son intransigeance, il est voué à la solitude et à la mort. » Rodney E. Harris, L’Humanisme dans le théâtre d’Aimé Césaire, Ottawa, Naaman (BNQ), 1973, p. 160. Retour
[25] Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient, Paris, Présence africaine, 1956, p. 39. Retour
[26] Aimé Césaire, « Poésie et connaissance », in : Tropiques 12 (1945) rééd. par Jacqueline Leiner, Paris, Jean-Michel Place, 1978, pp. 157-169, ici p. 162. Retour
[27] Cf. Ioan Peter Couliano, Éros et magie à la Renaissance – 1484, Paris, Flammarion, 1984, surtout pp. 157-162. Retour
[28] Cf. Dorothea Scholl, Von den “Grottesken” zum Grotesken. Die Konstituierung einer Poetik des Grotesken in der italienischen Renaissance, Münster, Lit, 2004. Retour
[29] Cf. les remarques de Jacqueline Leiner sur le « surréalisme comme moyen d’accès à l’identité » et comme pont entre les continents, in : Jacqueline Leiner, Imaginaire – Langage – Identité culturelle – Négritude : Afrique, France, Guyane, Haïti, Maghreb, Martinique, Paris-Tübingen, Jean-Michel Place/Narr, 1980, pp. 5-6 et pp. 69-85. Cf. aussi les remarques de Césaire lors d’un entretien avec Jacqueline Leiner, in : Leiner (1993), p. 127 et p. 130. Retour
[30] Lebrun (1994), pp. 52-53. Retour
[31] Franz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 19. Retour
[37] « L’intériorisation du racisme […] est le fait du métis lui-même. » Édouard Glissant, L’Intention poétique – Poétique II. Paris, Gallimard, 1997, p. 213. Cf. aussi Édouard Glissant, Soleil de la Conscience – Poétique I. Paris, Gallimard, 1997, p. 62. Retour
[38] Glissant, L’Intention poétique (1997), p. 213. Retour
[39] Édouard Glissant, Poétique de la Relation – Poétique III, Paris, Gallimard, 1990, pp. 67-68. Sur le rapport de Glissant à la négritude cf. Bernadette Cailler, Conquérants de la nuit nue : Édouard Glissant et l’(H)histoire antillaise, Tübingen, Narr, 1988, surtout pp. 47-53 et pp. 63-67. Retour
[40] Glissant (1990), p. 46. Retour
[42] Glissant, L’Intention poétique (1997), p. 36. Retour
[44] Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde – Poétique VI, Paris, Gallimard, 1997, p. 22. Retour
[46] Ibid., pp. 101-102. Retour
[47] Glissant, L’Intention poétique (1997), p. 42. Retour
[48] « Ce que l’on appelle mondialisation, qui est l’uniformisation par le bas, la standardisation, le règne des multinationales, l’ultra libéralisme sur les marchés mondiaux, pour moi, c’est le revers négatif de quelque chose de prodigieux que j’appelle la mondialité. La mondialité, c’est l’aventure extraordinaire qui nous est donnée à tous de vivre aujourd’hui dans un monde qui, pour la première fois, réellement et de manière immédiate, foudroyante, sans attendre, se conçoit comme un monde à la fois multiple et unique, autant que la nécessité pour chacun de changer ses manières de concevoir, de vivre, de réagir dans ce monde-là. » Glissant, cité sur le site http://www.gensdelacaraibe.org/index.php?option=com_content&task=view&id=219&Itemid=131 Sur l’interprétation de la mondialisation comme une nouvelle forme d’impérialisme cf. Edward Said, Culture and Imperialism, London, Vintage, 1994 (chap. 4 : « Freedom from Domination in the Future). Retour
[49] Glissant, Traité du Tout-Monde (1997), p. 176. Retour
[50] Cf. les analyses de Cilas Kemedjio, De la Négritude à la Créolité : Édouard Glissant, Maryse Condé et la malédiction de la théorie, Hamburg, Lit, 1999, pp. 129-224. Retour
[51] Glissant, Le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997. Retour
[52] Sur le problème du néobaroque et du baroquisme cf. Wladimir Krysinski, « Les baroquismes de la modernité », in : Œuvres et Critiques XXXII, 2 (2007), pp. 137-153 et Rainer Zaiser, « Le pli : Deleuze et le baroque », ibid., pp. 155-170. Retour
[53] Cf. Glissant (1990), p. 107. Retour
[55] « D’un baroque mondialisé », ibid., pp. 91-95. Retour
[57] Glissant, « Les mémoires de la faim », in : http://www.édouardglissant.com/memoires.pdfRetour
[58] Césaire (1945), p. 165. Retour
[59] Aimé Césaire, Discours à l’Assemblée Nationale (Séance du 15 décembre 1982), cité d’après : Aimé Césaire. Une coproduction du service Magazines de Radio France Internationale et de l’UNESCO, 1996, Coll. « Les Voix de l’Écriture », ARCL 38, Disque II : Une pensée en action [II,4 Les Combats politiques]. Retour
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